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Doris LESSING

prix Nobel 2007

"La conteuse épique de l'expérience féminine qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire, scrute une civilisation divisée"




Soiree du 28 avril 2012,

organisee au Grand Palais


Doris Lessing L'Africaine

par Isabelle D. Philippe



Le 11 octobre 2007, Doris Lessing est devenue la 34e femme à remporter un prix Nobel et la 11e à recevoir celui de littérature – parmi les plus récentes, la Sud-Africaine Nadine Gordimer (1991), l'Américaine Toni Morrison (1993), l’Autrichienne Elfriede Jelinek (2004) ou l’Allemande Herta Muller (2009).


Le lundi 7 janvier 2008, au lendemain de l’attribution du Nobel, Anny Romand, fondatrice et directrice d’Une saison de Nobel au théâtre Mouffetard, m’a aimablement demandé de présenter l’auteur dans le cadre de cette manifestation, alors annuelle, parce que j’avais traduit en français ses 4 derniers textes pour les éd. Flammarion et son discours de récipiendaire. De là est née une amitié chaleureuse. Cinq ans plus tard, il est temps de reprendre le flambeau. Et quel flambeau ! 
Doris Lessing est sans doute la seule à avoir eu ce commentaire intempestif à propos de l’académie Nobel : « C’est parce qu’ils ont vu que la date de péremption était proche qu’ils me l’ont attribué ! » Doris Lessing est née en 1919 ! Elle avait vingt ans au début de la Deuxième Guerre mondiale. Quatre-vingt-treize ans au compteur, une belle course au finish.


La seule aussi, fidèle à sa légende, à avoir donné un discours au titre aussi provocateur : « Comment ne pas gagner le prix Nobel »! La seule encore à s’être plainte que l’obtention du prix Nobel avait été « une catastrophe » : « J’ai arrêté d’écrire, je n’ai plus d’énergie ».
Belle, lucide, tonique, indomptable et aventureuse, Doris Lessing ressemble à ses écrits. Une œuvre et une femme de tous les combats, un œil tendre sur un siècle cruel. Une anticonformiste pur jus, « une vraie bohême » (1). Loin d’être une posture, l’attitude rebelle et provocatrice qui en a hérissé plus d’un (et qui explique sans doute le caractère tardif de la reconnaissance nobélienne), est l’expression de son goût pour la liberté et l’analyse critique. Esprit curieux et peu enclin au compromis, Doris L. déteste et dénonce les faux-semblants et la malhonnêteté intellectuelle. Et confie avoir le chic pour se trouver dans une position fausse (2), elle pour qui « le devoir des artistes était de dire la vérité telle qu’ils la voyaient » (3).


Même si elle a été aux avant-gardes de l’action – féminisme, anticolonialisme et lutte anti-apartheid – elle n’appartient à aucune chapelle. Son engagement au parti communiste, commun à presque tous les intellectuels de sa génération, n’a duré que 4 ans, de 1952 à 1956, date de l’invasion soviétique de la Hongrie. Revenue de tout, elle pense que les grands mouvements idéologiques sont « névrotiques » et complètement inefficaces. Mais ses récits éclairent crûment les plaies du monde, déploient l’éventail des luttes pour la liberté et la dignité de l’homme. Des hommes et des femmes. Des êtres humains, des humains.
Hantée par son enfance et sa jeunesse africaines, guidée par sa ferveur humaniste, elle a construit discrètement, patiemment, une œuvre qui embrasse toutes les violences du XXe siècle. Notamment celles des guerres, la 1ère qui a mutilé son père (Alfred et Emily) (4), la 2e qui a frappé sa génération (Un enfant de l’amour), mais aussi celles de la décolonisation des années 60 (Nouvelles africaines, Les enfants de la violence…), la guerre froide et l’invasion soviétique de la Hongrie. Sans oublier l’explosion de la génération de 68, « blessée par les guerres », et son beau rêve déçu d’une société solidaire et sans classe (Le rêve le plus doux) (5).


Au final, cinquante livres qui explorent avec force et talent divers genres littéraires et vont des romans plus ou moins dialogués et des sagas historiques à la science-fiction, en passant par les contes, les nouvelles, le théâtre et l’autobiographie. Et même les essais (6). Son écriture est polymorphe. Cinquante livres, un chiffre tout rond en forme de pied de nez.


Première remarque liminaire : Les livres de Doris Lessing prêtent rarement à rire ou même à sourire, tant ils sont ancrés, enracinés, dans les douloureuses contradictions de la condition humaine et les défis phénoménaux du monde contemporain. Comment ne pas évoquer Graham Greene ou André Malraux, dont elle est la cadette d’une quinzaine d’années, ou encore Albert Camus, né en 1913, seulement 6 ans plus tôt qu’elle ? C’est la même carrure qu’eux, face à l’évolution du monde et à l’accélération de l’histoire.


Deuxième remarque : Justement, Doris Lessing est une femme. Et cela change tout. Car c’est ce filtre féminin qui constitue l’interface de D. L. avec le monde et les autres. Chez elle, ce filtre est assez puissant pour révéler clichés et préjugés machistes, racistes ou obscurantistes, qu’il s’agisse de décrire le rapport à la nature ou à la société, les relations entre hommes et femmes, enfants et adultes, Noirs et Blancs. Là, on pense à Simone de Beauvoir (1908-1986), même si leurs parcours divergent profondément, excepté sur la question féministe. À la différence de la Française, la Britannique n’est ni universitaire ni philosophe, mais une autodidacte et un écrivain « tout-terrain », aguerrie aux codes actuels et inactuels de la fiction, tâtant aussi de la non-fiction. Ou même du canular : Journal d’une voisine et Si vieillesse pouvait sont publiés avec succès sous un pseudo, Jane Somers. Et puis cette femme singulière qu’est Doris Lessing est plurielle. Son regard est celui de femmes de tous âges : fillette, adolescente, femme jeune ou mûre, vieille dame… Et de tous milieux et conditions : humbles, influentes, bourgeoises, établies, exilées, fermières, journalistes, artistes, noires, blanches… Le singulier se décline au pluriel de l’observation et du ressenti.


Troisième remarque : Évoquer le sexe, le « genre », féminin de l’auteure n’implique pas forcément une grille de lecture féministe. Au contraire, j’ai choisi de vous présenter l’œuvre de Doris Lessing sous un autre éclairage que celui habituellement choisi par les commentateurs français. Je me suis tournée vers sa face africaine, l’« africanité » de Doris Lessing, à laquelle sont très sensibles ses lecteurs anglo-saxons, notamment en raison de ses démêlés politiques avec Robert Mugabe, le président du Zimbabwe. Doris l’Africaine, donc.


Pas exclusivement, mais prioritairement. À cause de SA biographie et de SES préoccupations politico-littéraires, bien sûr, mais aussi peut-être parce que celles-ci illustrent l’« être-là » du sujet contemporain, travaillé par l’exil de la post-décolonisation. Le point de vue, la vision du monde, la Vorstellung de D. L. vient en effet d’un autre sol que celui de la « mère-patrie », d’un autre pays que celui de sa langue maternelle, ce qui lui ouvre d’entrée des horizons plus larges (7). Sinon illimités, excentrés ou décentrés. D’autant plus que ce sol, ce pays des origines devait fatalement se dérober sous ses pieds dans le processus global d’indépendance, ce qui l’a poussée à devancer cette déchirure et à quitter l’Afrique pour Londres dans l’après-guerre. Un rapprochement s’impose peut-être avec Marguerite Duras (1914-1996), elle aussi de la même génération, celle de la Deuxième guerre mondiale, elle aussi née ailleurs, dans les colonies avant l’Indépendance. Une exilée, descendante d’exilée. Le double exil, comme il existe la double peine.


Et pour justifier cette option, où certain(e)s verront peut-être une trahison ou une complaisance, nous nous appuyons sur les écrits et les prises de position de l’auteure. En effet, dès 2001, dans Le rêve le plus doux, elle souligne les excès de l’engagement féministe (8). La même année, Doris L. dénonce dans un petit essai le « politiquement correct », le PC, nouvelle « hystérie politique » venue remplacer les dogmes du réalisme socialiste et du communisme, ce besoin de religion dont relève aussi le féminisme (9). Et lors du festival du livre d’Edimbourg de 2001, ses déclarations à contre-courant – « Les hommes ont désormais tellement l’air de chiens battus qu’ils ne répliquent pas. Il serait temps qu’ils contre-attaquent. » – ont provoqué une vive polémique avec cette autre auteure anglaise hors normes, sa cadette, Jeanette Winterson (Libération du 17.08.2001). Plus fondamentalement, Doris L. s’était déjà mise en retrait du thème de la « guerre des sexes » il y a 40 ans, en juin 1971, au moment de la réédition de Le carnet d’or (paru initialement en 1962 et surnommé par les journalistes la « Bible du mouvement des femmes » (10)), pour insister à la place sur ses intentions et sa problématique littéraires. Comme pour dire : Je suis un écrivain avant tout. Nous reviendrons plus tard sur ce point afin de le développer.


Pour l’instant, laissant donc en creux la question du féminisme, tentons de dégager un nouvel axe d’approche des ouvrages de la grande dame des lettres britanniques, à savoir l’Afrique. Oui, l’Afrique. Doris Lessing l’Africaine, comme Scipion l’Africain. Après celui qui a conquis l’Afrique, celle qui a compris l’Afrique. Oui, une femme, des femmes en quête de libération. Oui, Mary de Vaincue par la brousse, Martha Quest des Enfants de la violence, Anna Wulf du Carnet d’or, Mara de Mara et Dann, Frances et Sylvia du Rêve le plus doux, etc., etc. Mais des femmes, une femme souvent passée par l’Afrique, l’Afrique australe surtout. Une Africaine blanche ou une Européenne d’Afrique, d’« Ifrik », comme elle écrit à la mode arabe (Mara et Dann). Ifrikia en arabe, Africa en latin, du grec tardif Africh. Une « coloniale », c’est le mot. (11)


Si Doris Lessing, depuis son départ en 1949 de l’ex-Rhodésie du Sud, l’actuel Zimbabwe, soit depuis 62 ans, vit en Angleterre, d’où ses parents étaient originaires, elle est née en Iran et a grandi en Afrique. Que faisait la jeune Doris Tayler ? elle courait dans la nature seule ou avec son petit frère Harry, vadrouillait par monts et par vaux, à travers le veld (savane, champs) et les vleis (marécages). Au-delà de son engagement politique du moment et de sa dénonciation de l’apartheid et du racisme en général, toute sa mémoire sensorielle provient de cette terre africaine et de ses populations (noires, afrikanner, britanniques), qu’elle observe avec la même acuité perceptive et intellectuelle avec laquelle, fillette, elle observait les fourmis, aplatie dans l’herbe. Et emportés par ses mots, ses images et ses descriptions d’une somptueuse précision, nous croyons respirer l’air sec chauffé à blanc, nous voyons s’abattre un nuage de sauterelles sur les maïs et le tabac, explorons le veld, cherchons de l’or, escaladons un kopje pour scruter l’horizon, creusons des puits, suivons la route menant à la ville, nous enfonçons entre les frangipaniers, les hibiscus ou les gommiers, découvrons les fresques des Boshimans, circulons dans les allées parcourues par les indigènes, etc. C’est bien dans les paysages secs ou exubérants du Zimbabwe ou d’Afrique du Sud que le lecteur se trouve projeté, pas dans la douce campagne verte et humide de Grande-Bretagne. Et cette nature rugueuse, avec ses végétaux, ses animaux et ses habitants difficiles à apprivoiser, vibre d’une vie mystérieuse et d’un sens caché, qui exige une initiation permanente. Celle de l’écriture. « Je suis née pour être écrivain, je n’ai pas eu le choix ». (Doris Lessing : ma vie, ZDF, 2001)


L’écriture en devient, sinon animiste, du moins animée. Mieux qu’un dessin animé, une trace animé(e). Vaincue par la brousse, premier roman de Doris Lessing (12). Le titre anglais, The grass is singing (13), est non seulement plus poétique que le français, même s’il s’agit bien d’un combat perdu, mais surtout plus fidèle au propos de l’auteure, car il donne à entendre le chant impitoyable de la nature, de la végétation, de la brousse. Rhodésie fin des années 40 : Mary, une jeune citadine blanche épouse un fermier, Dick Turner. Un mariage sans amour qui tourne à la torture pour la jeune femme dans  une ferme isolée, loin de tout, brûlée par la chaleur. Mary s’ennuie jusqu’au jour où arrive Moïse, un domestique noir, avec qui elle entretient une drôle de relation, faite d’attirance, de répulsion et de domination mêlées. Un suspense qui atteint son acmé le jour ou l’on découvre le corps sans vie de Mary sur sa véranda. À travers ce récit de noces ratées, Doris Lessing brosse le portrait de toute la société coloniale rhodésienne. Vaincue par la brousse est un récit âpre qui décrit avec violence le climat des tensions raciales dans l’Afrique australe des années 40. Tous les événements sociaux portés par la politique extrémiste de Robert Mugabe sont palpables dans ce récit. Un récit qu’elle emprunte largement à son expérience familiale de fille d’ancien officier de l’armée britannique devenu banquier avant d’émigrer en Rhodésie, le Zimbabwe d’aujourd’hui, où il se lance dans l’exploitation d’une ferme. L’Afrique, terre de sa jeunesse, matrice de ses années de formation, imprégnera l’œuvre de Doris Lessing.


Ce n’est pas seulement le fait que Mary soit « vaincue », ou même tuée, qui importe dans l’histoire, mais que son environnement se manifeste, résiste, existe au travers de ce drame. Par le jeu des correspondances, et grâce à une écriture symboliste, quasi-animiste disions-nous, la nature révèle le jeu des passions humaines, le frémissement du désir, et inversement celui-ci se nourrit de celle-là. C’est le premier versant africain de l’œuvre de Doris L., celui des années 50, qui continue avec les textes sourdement subversifs et impressionnistes des Nouvelles africaines (« Le soleil se lève sur le veld », « Juillet en hiver » et « La madone noire ») et l’impressionnante série « de formation », en 5 tomes, de Les enfants de la violence (14). Loin d’évacuer la dimension politique des écrits de l’auteure, ce mode de narration l’intègre dans des observations tantôt minimalistes, tantôt emblématiques de l’occupation et des déplacements des protagonistes sur le territoire décrit. S’il y a un territoire, il y a plusieurs cartes qui ne se superposent pas toujours. Les conflits de voisinage, les jalousies entre fermiers afrikanner et britanniques, les injustices liées à la couleur de peau, la contradiction entre la conscience individuelle et le bien commun, tout est réuni pour l’explosion sociale. Un roman est toujours l’histoire d’un combat ou d’un échec particulier qui fait accéder le lecteur à l’universel de la condition humaine. Les livres de Doris Lessing relatent des histoires sur la souffrance des femmes – celle de Mary dans Vaincue par la brousse, de la vieille épouse d’un ouvrier agricole polygame dans Le fléau ou de Kate, l’adolescente perdue au milieu des adultes de La Ferme du vieux John – mais aussi sur celle des hommes – d’un vieil homme, dans Le vieux chef Mshlanga, d’un enfant, le petit Tembi qui refuse d’être séparé de sa maîtresse ou du jeune Noir idéaliste de La Faim, Jabavu.


Le deuxième versant africain, ce sont les livres des années 2000, où Doris L. met en perspective son expérience d’ex-coloniale. Cinquante ans, en effet, séparent le premier ensemble de textes africains du second. Pour cette 6e saison de Nobel, notre hôtesse Anny Romand a choisi de lire des extraits de Mara et Dann,confortant sans le savoir notre parti-pris. Parue en anglais en 1999 et sortie en 2001 chez Flammarion (15), cette fiction raconte un exode africain censé se passer dans vingt mille ans, lors d’un nouveau réchauffement climatique consécutif à une glaciation. C’est en effet une fable écologico-politique, une référence pour tous ceux qui s’intéressent au devenir de l’Afrique, et pas seulement australe (16). (La suite, publiée en 2005 et inédite en français, Le général Dann, la fille de Mara, le griot et le chien des neiges, brode une méditation crépusculaire sur le déclin des savoirs et des civilisations, conséquence des bouleversements climatiques)


Une évidence, malgré le brouillage des repères spatio-temporels. Mara, la jeune et téméraire héroïne du roman Mara et Dann, le texte qui a été lu aujourd’hui, est un doppelgänger, un double littéraire de l’auteure – comme tant d’autres personnages féminins de ses romans, Mary la fermière ou Frances la mère adoptive d’ados « dépressifs » des années 60. La longue remontée de l’Afrique, l’arrachement à l’Ifrikia, la volonté de survie, l’éveil, la curiosité, la force, la sensualité, les discussions et les réunions, la politique, le questionnement, le travail sur la mémoire… Des signes particuliers bien reconnaissables.


Certains esprits étroits peuvent classer ce livre comme un ouvrage de genre. Oui, mais Doris Lessing revendique et justifie son goût pour la SF. « Ouvrir un roman de S.F., ou être en compagnie d’auteurs de science-fiction, si on vient de faire un séjour dans le monde littéraire conventionnel, c’est une bouffée d’air pur dans une petite pièce étouffante et démodée. » (La marche dans l’ombre). Elle cite les compatriotes de sa génération, Arthur C. Clarke (2001, Odyssée de l’espace) et Brian Aldiss (La croisière sans escale, Heliconia) comme faisant partie des meilleurs auteurs britanniques depuis la guerre. Par sa connexion avec les sciences, la SF donne les nouvelles les plus informées de l’humanité. C’est la raison pour laquelle, de façon intermittente mais régulière, Doris Lessing recourt à ce dispositif, à ce code narratif : la série Canopus dans Argos – 4 volumes ! –, Mara et Dann, et sa suite, Le général Dann, la fille de Mara, le griot et le chien des Neiges. Sans oublier le dernier roman, The Cleft (« La fente », 2007).


Cette « bouffée d’air pur », comme elle dit, lui permet aussi d’élargir la focale de son œil, de prendre le recul nécessaire pour une vision « valérienne », relativiste, de l’histoire du monde. Oui, les civilisations sont mortelles, et alors ? La saga S.F. de Doris Lessing s’inscrit dans une écologie fantastique. Peut-être pas si fantastique que ça. Un changement climatique entraîne la mutation des sociétés humaines, qui s’écroulent ou au contraire se re-fondent. Ici, il s’agit d’un retrait de la glaciation qui avait recouvert l’Yrrup, asséchant la Mer du Milieu ou la Moyenne-Mer, laquelle se remplit à nouveau, tandis que la sécheresse s’installe de nouveau en Ifrik : « Tout en est toujours à un stade ou un autre de son développement, un mode d’être se transforme en un autre » (p. 386). Il y a déjà eu une glaciation, puis l’Europe a profité d’une période de réchauffement qui a duré 12 000 ans, ce qui y a permis le développement de grandes civilisations, avant de connaître une nouvelle glaciation, qui a poussé les populations du Nord (européennes) à émigrer en Afrique pour trouver un milieu plus tempéré. Mais voilà que les glaces fondent et que la migration doit s’inverser : les Humains remontent vers le Nord. Dont nos deux héros, Mara et Dann.


Le relativisme est donc de mise. Les civilisations ne sont pas fondées en droit (divin ou naturel), mais sont des conséquences plus ou moins sophistiquées des conditions matérielles où elles naissent et se développent. Les humains, du fait des aléas climatiques, ont perdu le fil de leur histoire. Très peu d’entre eux (les Mémoires) gardent le souvenir ce que fut la vie sur Terre, il y a des milliers d’années. Surtout, ils ont perdu le sens et le mode d’emploi des techniques dont ils ont hérité : panneaux solaires, tissus, métaux, moyens de transport... et vivent de manière archaïque, clanique, sans communication les uns avec les autres, sinon par espions ou messagers interposés. Alors, ces vestiges de l’ère technico-scientifique nous sont décrits comme des produits énigmatiques, voire malfaisants. Les animaux, outre qu’ils ont muté et que certaines espèces ont disparu, baignent dans le même étrange éclairage. Les crocodiles – appelés « dragons d’eau » –, les araignées et les scarabées géants ont-ils quelque chose à voir avec ceux que nous connaissons aujourd’hui ? Oui, de près ou de loin.


Pour revenir à Mara, que Doris L. ait conçu ce personnage emblématique de « survivante » et écrit ce livre au marteau en 2001, soit à l’âge de 82 ans, est un tour de force. C’est, disions-nous, le 2e versant africain, où l’auteure met en perspective son expérience coloniale. Comme si l’âge lui permettait d’abolir non seulement les années, le temps, mais aussi les frontières, l’espace. Un demi-siècle entre le premier ensemble de textes africains et le second. Et ce délai, cette distance temporelle libère une étourdissante distanciation narrative, celle de la fable ou du mythe. Une performance, artistique et existentielle ! Une question, pourtant : pourquoi ce roman n’a-t-il pas été adapté au cinéma, malgré la pertinence de son propos, les migrations, ses héros iconiques et ses descriptions magistralement visuelles ? Compartimentage – fragmentation – des champs créatifs ? Machisme du milieu de la SF et des studios de cinéma versus une « femme libérée » ?


Deux ans plus tard, en 2001, paraît un roman de facture plus « réaliste », Le rêve le plus doux (17), où l’Afrique joue un grand rôle. À travers la famille Lennox, qui vit en « communauté » dans une grande maison londonienne, D. L. met en scène le Londres des années soixante à quatre-vingts. Au mitan du livre, le charme grisant du Swinging London bascule dans un effroyable tableau de la brousse africaine, ouvrant sur une critique sévère des régimes dictatoriaux post-guerres d’Indépendance et nourris de l’aide internationale, dont les représentants tirent une plus-value politico-personnelle aussi globale qu’immorale. Les personnages blancs et noirs sont (presque) tous formés au moule marxiste-léniniste. La Zimlie désigne le Zimbabwe (ex-Rhodésie), où l’auteure a passé ses trente premières années et où elle est aujourd’hui interdite de séjour.


Cette fresque impitoyable n’a pas eu l’impact qu’elle méritait, du moins en France : Doris L. cherche à expliquer le « besoin de sauver le monde » typique des années soixante par une névrose de guerre, un thème récurrent (18). Elle en profite pour passer le communisme et le tiers-mondisme de gauche à la moulinette de son observation de terrain et de son esprit critique. Le résultat est une étonnante construction narrative bipolaire, à la conclusion énigmatique : que vont devenir les deux petits Africains ramenés en Angleterre par Sylvia, le jeune médecin britannique idéaliste, morte à son arrivée à Londres ? L’absence de réponse claire exprime les incertitudes de l’avenir de l’Afrique et de la mixité globale en cours.


Le discours de réception du prix Nobel, Comment ne pas gagner le Nobel, est un texte à la fois militant et éminemment théorique. Reprenant le thème de la misère de l’illettrisme de son roman afro-londonien, D. L. y fait l’apologie de la lecture et des livres, d’une part, contre l’illettrisme organisé, imposé, par les pouvoirs tyranniques qui ont succédé aux colons d’Afrique et, d’autre part, contre le gavage de la civilisation occidentale, avec sa révolution technologique en cours (télévision, ordinateurs et Internet).


Citons un passage :
« J’aimerais que vous vous imaginiez quelque part en Afrique du Sud, dans un magasin indien d’une zone pauvre, par temps de grande sécheresse. Les gens, surtout des femmes, font la queue, munies de toutes sortes de récipients pour l’eau. Tous les après-midi, ce magasin reçoit de la ville voisine un camion-citerne d’eau, cette denrée si précieuse, et les autochtones attendent là.
L’Indien se tient avec les paumes de mains à plat sur son comptoir ; il observe une femme noire penchée au-dessus d’un gros paquet de feuilles qui a l’air d’avoir été arraché d’un livre. Elle lit Anna Karénine. Elle lit lentement, formant les mots avec ses lèvres. Le livre semble difficile. C’est une jeune femme avec deux enfants en bas âge accrochés à ses jambes. Elle est enceinte. L’Indien est peiné parce que le voile de sa visiteuse, normalement blanc, est jaune de poussière. De la poussière, encore, recouvre ses seins et ses bras. Cet homme souffre de voir ces files d’acheteurs, tous assoiffés. Il n’a pas assez d’eau pour eux, il est en colère parce qu’il sait que des gens meurent de soif là-bas, derrière les nuages de poussière. Son frère aîné assurait la permanence auparavant, mais il avait réclamé des vacances et était allé à la ville, en réalité assez mal en point à cause de la sécheresse. Cet homme est curieux. Il demande à la jeune femme : “Que lis-tu ?” (19) 


Dans ces lignes résonne comme un écho de Mara et Dann, où Les Mahonis, le peuple d’origine des deux jeunes réfugiés, soucieux de garder la mémoire des bribes de civilisation qui leur restent, se réunissent pour écouter des histoires. Lisons donc un extrait :
« C’était Larissa qui assurait les cours, lesquels étaient des histoires “d’il y a longtemps, nul ne sait quand”, et sortaient d’un manuel de médecine trouvé dans les archives. La première histoire évoquait une certaine Madame Bova qui détestait son mari, tenta de séduire un beau jeune homme, qui la rejeta, et se donna alors la mort en s’empoisonnant. […] Le deuxième récit mettait en scène une femme belle et puissante, Anna Karé, qui détestait aussi son mari, le quitta pour un beau soldat et se suicida en se jetant sous une machine, décrite dans une note comme « roulant sur des rails parallèles ». (20)


Dans les deux textes, un public improbable – une Noire mère de deux enfants pour le premier et des courtisanes d’un lointain avenir pour le second – s’intéresse à un livre ou à la littérature. À des histoires. Au fil du discours, Doris Lessing parle de « culture à fragmentation », ce qui renvoie paradoxalement à sa propre problématique littéraire et écarte tout soupçon de passéisme ou de ringardise. D’autre part, Doris L. ne se contente pas de prononcer l’éloge du livre, face à Internet ou à la misère et à la dictature, mais fait remonter la généalogie de la littérature au conteur et à l’amour d’écouter ou de raconter des histoires autour du feu. Le feu de camp, image du feu de l’inspiration ou de l’enthousiasme sacré. Cet éloge de la lecture, qui sera repris par Mario Vargas Llosa dans son propre discours du Nobel de 2010, Éloge de la lecture et de la fiction, est adossé à l’art du conteur traditionnel. L’auteur est une voix, un conteur, un griot. Doris L. la griotte. Le Péruvien ne peut pas ne pas avoir lu l’Anglaise (21).


Le thème du sexe et de la sensualité est évoqué également par Doris Lessing, mais elle renverse la perspective : son féminisme consistera à parler de « ça » du point de vue d’une ou de femmes. Car sensuels les romans de Doris sont. Sensuels mais aussi pudiques. Quoique ! (22) Et ce dès le premier, Vaincue par la brousse. Citons encore Le carnet d’or, Les carnets de Jane Somers, Le rêve le plus doux, Les grands-mères. Et, bien sûr, son autobiographie, où elle décrit ses amours avec le Tchèque Jack et l’Américain Clancy, ses aventures sans lendemain. Sur un plan plus culturel, Mara et Dann effleure la question de l’inceste entre sœur et frère et celui de la dynastie incestueuse d’Égypte. Et puis il y a la question des origines (et peut-être du genre), abordée magistralement dans The Cleft, « La fente ». L’avant-dernier livre de Doris Lessing, paru en 2007 et inédit en français, propose une nouvelle mythologie des origines de l’humanité – le masculin serait un accident du féminin (et non l’inverse) – racontée, subtil procédé narratif, par un vieux sénateur romain, Marcus.


Alfred et Emily, le dernier livre. Ce titre paru en 2008 en anglais et en français réunit un certain de nombre de textes, autofictifs ou complètement fictifs, consacrés à ses parents « africains blancs », où se manifeste l’attachement de cette famille à la terre d’Afrique. Dans l’un d’eux qui constitue la 1ère partie, « Le roman d’Alfred et Emily », l’auteure, forte de toutes les audaces uchroniques de la littérature, réécrit, réinvente l’histoire de ses parents. La Première guerre mondiale n’aura pas lieu : « J’ai tenté de leur donner des vies qui auraient pu être les leurs si la guerre n’avait pas eu lieu » (Avant-propos). La 2e partie, intitulée Alfred et Emily : deux vies, compte dix textes autobiographiques, émaillés de notations afro-philosophiques saisissantes. Celle-ci, par exemple, attribuée à son père : « Tu comprends, ma vieille, c’est comme en Angleterre. … Tu comprends ? c’est exactement pareil. D’après certains, les Bochimans ont vécu ici pendant des millénaires. Puis les tribus actuelles sont arrivées, puis nous, les Blancs, et qui viendra ensuite ? Je ne serais pas surpris que ce soient les Arabes. En tout cas, quelqu’un viendra… Et chaque nouvelle vague détruit ce qui existait auparavant. » Le sable des civilisations coule dans le sablier de l’Histoire. Cette évocation de la succession des « vagues » de civilisation renvoie à la vision de l’histoire du monde développée dans Mara et Dann (23).


Un œil à facettes, comme celui des insectes observés dans la brousse, un témoin nerveux de son temps. Les livres de Doris ne sont ni simples ni faciles, ni dans la lecture, la captation, ni dans la construction. Il y a l’histoire, l’intrigue, avec une galerie de portraits au premier plan, et en arrière-plan il y a toujours la fresque historique, la pression de l’histoire sur les hommes : la 1ère guerre mondiale, la 2e, des guerres de libération, les guerres civiles, les troubles sociaux. Ces récits sont des albums d’histoire familiale. Pixellisée dans un mouvement social mondial plus large, la fiction faussement facile devient alors la possibilité de la recréation symbolique, imagée, d’une expérience individuelle et collective. Ce qui est intéressant dans les livres de Lessing, c’est que les situations même les plus insoutenables semblent perdurer, et puis, d’un coup d’un seul et contre toute attente, les êtres humains par une forme de maturité ou maturation changent d’état, d’état d’esprit. Rien n’est figé, il n’y a pas de manichéisme. Les points de fuite abondent. Et puis le monde se charge tout seul de changer, entraînant la modification du destin des humains. Doris Lessing nous parle de son « optimisme fondamental » (24). Plus loin, elle nous confie : « J’avais appris que les atmosphères et les climats d’opinion qui paraissent éternels sur le moment peuvent disparaître en une nuit. » Elle cite en exemple la guerre froide. On peut ajouter la chute du mur de Berlin ou les événements de la place Tienanmen !


L’écriture de la grande dame des lettres anglaises est très forte, percutante, non seulement par son contenu, les thèmes divers qu’elle aborde, mais par sa forme. Le style, très idiomatique et, de surcroît, elliptique, est celui de la métafiction, avec ses différents niveaux de sens, son millefeuille sémantique. Doris L. va au plus près de ce qu’elle a à dire, sans céder à aucune facilité ni complaisance, et n’hésite pas à déstructurer, déconstruire, la phrase, mais cela aussi sans gratuité. Pour la traduction, on ne sait jamais si on en fait trop ou pas assez (25). Un parallèle s’impose de nouveau avec Marguerite Duras, et nous nous réservons de le développer. (26)  En résumé, un style « faussement facile ».


D’abord, Doris L. a une écriture très érudite, par ses citations comme par ses allusions repérables ou souterraines, que, par exemple, M. Sylvère Monod m’avait aidée à référencer pour Un enfant de l’amour. Par ailleurs, cette écriture résolument post-moderne, est progressive dans la phrase, d’où une certaine rugosité, et fragmentée dans la composition narrative. Doris L., une styliste qui a inventé l’écriture à fragmentation. Vous avez bien lu et entendu. Comme la bombe du même nom, une écriture à fragmentation se divise en multiples fragments, constituant chacun un projectile destiné à percer le cœur et l’esprit du lecteur. Serait-ce là la « télépathie » dont parle Virginie Despentes ?


Creusons cette notion de métafiction, une forme romanesque inventée par D. L. selon les histoires de littérature anglaise  (27). Le décalage, osons le mot la distanciation inscrite par la préposition grecque meta – « ce qui est après ou avec » – est perceptible dès le tout premier roman, Vaincue par la brousse (1950). L’animisme, l’« âme » prêtée à la nature, telle que l’exprime la narration, reflète la sensualité des personnages (cf. supra). Ce décalage sera acté, formalisé pourrait-on dire, dans Le Carnet d’or, paru en anglais en 1962. Ce livre évoque l’histoire d’une femme écrivain à succès qui tient un journal sur 4 carnets différents : un noir pour son œuvre littéraire, un rouge pour son activité politique, un bleu dans lequel elle tente de trouver la vérité à travers la psychanalyse, un jaune pour sa vie privée, et lorsqu’elle ouvre le carnet d’or, le 5ème, elle le confie à son amant, qui doit y consigner la synthèse de sa vie. (28) Ce roman nouveau par sa forme et son contenu est presque un legs moral. Il a incité des générations de femmes et d’hommes à revendiquer le goût de l’indépendance et de la jeunesse. Pourquoi alors a-t-il fallu attendre 1976, soit 14 ans plus tard, pour qu’il soit édité en français, alors que l’intelligentzia française se gargarisait dès 1968 de « différance », de déconstruction et de transversalité du désir, sans parler du Nouveau roman autour d’Alain Robbe-Grillet et des éditions de Minuit (29) ? L’usage de la fragmentation ou de la métafiction se décline sous de multiples aspects dans l’œuvre de Doris Lessing, ce qui nous renvoie encore à sa polymorphie littéraire.


Si Doris Lessing s’inscrit naturellement dans la tradition littéraire anglaise féminine (Mary Shelley, George Eliot, Jane Austen, Virginia Woolf, Angela Carter…), elle prend aussi sa place dans l’histoire de la littérature anglaise en général, et de la littérature tout court, ce que consacre son Nobel et ce qu’elle revendique haut et fort en citant des auteurs majoritairement masculins (George Meredith, Tolstoï, Laurence Sterne, Stendhal). Nous renvoyons de nouveau le lecteur au Carnet d’or et à sa préface postérieure où l’auteure explicite son enjeu essentiellement littéraire, formaliste : « Mais mon objectif majeur consistait à écrire un livre qui fût son propre commentaire, une déclaration sans paroles : je voulais m’exprimer par la forme même du livre » (30). Mais cette primauté de la forme, loin d’enfermer l’écrivain dans sa tour ou dans sa chambre, lui permet, paradoxalement, de déborder de contenu. D’écrire, de dire le monde où il vit. Doris Lessing, Graham Greene, Albert Camus, André Malraux, Harold Pinter, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir etc., etc. On peut aussi rajouter Iris Murdoch, née la même année qu’elle, Jean Rhys, Muriel Spark, Anita Brookner… A writer is a writer is a writer, un auteur est un auteur est un auteur, pour paraphraser une célèbre Américaine à Paris. Oui, sauf que le français est d’emblée masculin là où l’anglais est invariable, mettant ainsi l’accent plus sur « l’écriture qui sort de la personne » (31) que sur le genre du nom. Notre langue, la française, serait en quelque sorte trop sexuée et méconnaîtrait les charmes du neutre !


Paris, le 15 avril 2012

Lecture comparée de Le carnet d’or et de Le carnet noir


Dans le titre du chef d’œuvre de Doris Lessing, Le carnet d’or, ne peut-on capter en particulier un écho de Le Carnet noir de Lawrence Durrell, auteur qui se déclare lui-même sur la voie de l’exploration intérieure, voie moderne frayée par Henry James, James Joyce et Marcel Proust ?


Parmi d’autres thèmes – éros et thanatos, l’homosexualité et la régression – ce roman liminaire de cet autre Anglais voyageur ouvre la question de la multiplicité des moi  (32) et du fragment  (33). La similitude des titres annonce donc de grandes proximités, aussi bien formelles que thématiques.


Notons que le Carnet d’or contient aussi un « carnet noir » qui relate le passé en Afrique de l’héroïne, Anne Wulf ; en outre, le Carnet noir de Durrell parle d’un hôtel, le Regina – le carnet noir de D. L. évoque l’hôtel Mashopi –, et surtout intègre des fragments du journal de Mort Gregory, fiction écrite par le narrateur (cf. « Femmes libres » in Le Carnet d’or).


Vingt-quatre ans séparent le livre de L. Durrell, publié en 1937 grâce à Henry Miller, et l’œuvre majeure de D. Lessing. Par la suite, Lawrence D. composera son Quatuor d’Alexandrie (« Justine », « Balthazar », « Mont Olive » et « Cléa »), autre expérience littéraire de morcellement.




Notes


(1). La marche dans l’ombre, « Autobiographie 1949-1962 », Livre de poche, 2001.

(2). Op. cit. :À propos du « devoir révolutionnaire » d’une bonne communiste : « J’avais beau être habituée à me trouver dans une position fausse – quelquefois je pense qu’« une malédiction pèse sur moi depuis le berceau – ce fut pire que tout. » Un peu plus bas : « J’ai toujours agi de cette façon, même enfant. »

(3). Idem.

(4). Cf. Alfred et Emily, p. 8 : « Cette guerre, la Grande Guerre, la « der des ders », pesa lourdement sur mon enfance… Aujourd’hui encore je m’efforce d’échapper à cet héritage monstrueux pour être enfin libre. » Et plus loin, p. 297 :  « Je crois que la colère ramenée des tranchées par mon père s’est emparée de moi très tôt et ne m’a plus jamais quittée. »

(5). Cf. op. cit. p. 146 : « Ils sont tous paumés. Perturbé, c’est ce que vous avez dit qu’était Colin. Ce sont tous des enfants de la guerre, il ne faut pas chercher plus loin. Deux guerres abominables, et voilà le résultat. Ce sont des enfants de la guerre. »

(6). Cf. Ch. Jordis in Encyclopaedia Universalis : « Il n’est guère de genre auquel Doris Lessing, l’un des écrivains les plus prolixes de Grande-Bretagne dans la seconde moitié du XXe siècle, ne se soit essayée. »

(7). Décrivant ses discussions avec un ami critique de théâtre, Kenneth Tynan : « Je suggérai qu’il existait certainement d’autres cimes à convoiter, tandis que nous échangions des paroles, et non des sentiments, car à certains moments les horizons étroits des Britanniques plongent simplement les observateurs dans une sorte de désespoir » La marche dans l’ombre. (C’est nous qui soulignons.)

(8). Le rêve le plus doux, p. 234 : « [Frances] ne s’était jamais envolée le moins du monde dans les nues échevelées du féminisme tant à la mode… Le nouvel ennemi, les hommes, était encore plus utile, puisqu’il englobait la moitié de l’humanité. D’un bout du monde à l’autre, le Deuxième sexe jugeait les hommes… »

(9). Cf. « Censures[s] », L’Infini, n° 92, automne 2005. (Cf. aussi Le temps mord, Flammarion, 2011.)

(10). Éditions Albin-Michel (trad. de Marianne Véron).

(11).  « Et les deux coloniales que nous étions se sentaient accablées [par la pluie grise, régulière et glacée si particulière à l’Angleterre] au point de se demander pourquoi elles étaient jamais venues dans ce pays », La marche dans l’ombre. À un ami, elle écrit encore  : « Dire que je suis un animal sorti de la brousse et ébloui par les lumières étincelantes est peut-être une manière un peu facile de définir le point de vue extérieur qu’une personne avec une éducation comme la mienne a inévitablement sur l’Europe. » Op. cit.

(12) . Vaincue par la brousse, livre paru chez Plon en 1953 et réédité par Flammarion en 2007, « le premier de [ses] vrais romans » (p. 210, Alfred et Emily,Flammarion, 2010).

(13). « L’herbe chante », vers tiré de La terre désolée de T. S. Eliot.

(14). « Je dirais que Les enfants de la violence était mon premier roman écrit dans un style direct et autobiographique », op. cit

(15). Traduction d’Isabelle D. Philippe.

(16). Cet ouvrage est cité dans un ouvrage de bibliographie de référence : Hunting down the universe a select science and literature bibliography, « Dear Mr Darwin », chapitre consacré à la génétique et à l’évolution. Il aurait pu aussi bien figurer dans « A passion for plants », chapitre consacré à l’écologie, la biodiversité et l’histoire naturelle. (British Council, 2003). Cf. aussi l’International Herald Tribune du 8-9 mars 2008 sur les migrations, conséquences des bouleversements climatiques : « Migration to surge, EU leaders are told - Warning on fallout of climate change »

(17). Éd. Flammarion, 2004 (traduit par Isabelle D. Philippe). En anglais, The Sweetest Dream. Une traduction plus juste aurait été « Le rêve le plus beau » ou « Un si beau rêve ».

(18). Cf. supra, p. 2.

(19). P. 9, Comment ne pas gagner le prix Nobel, 2007.

(20). Op. cit., p. 199.

(21). Mario Vargas Llosa, op.cit., Gallimard, p. 45 : « J’ai toujours été fasciné en imaginant cette circonstance incertaine où nos ancêtres, à peine différents encore de l’animal, sitôt né le langage qui leur permettait de communiquer entre eux, ont commencé, dans les cavernes, autour d’un feu de bois… à inventer des histoires et à se les raconter. Ce fut là le moment crucial de notre destin, car c’est dans ces cercles d’êtres primitifs suspendus à la voix et à l’imagination du conteur qu’a débuté la civilisation, ce long cheminement. »

(22). « J’en étais arrivée à la conclusion que j’étais devenue une droguée de l’amour. J’étais intoxiquée par l’état amoureux – c’était ma dose, ma défonce. » La marche dans l’ombre.

(23). Cf. supra, p.7-8.

(24). « Une question de nerfs, de constitution – une disposition, un tempérament. » La marche dans l’ombre.

(25). « Le traducteur, s’il est exigeant, ne sait jamais s’il en dit trop ou pas assez, s’il doit expliciter, au risque d’affadir et de franciser – normaliser – à outrance, ou au contraire rester fidèle, avec l’écueil, le risque, de verser dans la “maladresse” ». (Lettre du 6 avril 2007 à P. H., dir. de lit. Étrangère chez Flammarion)

(26). « Le style de DL est très difficile à rendre un peu comme doit l’être celui de Marguerite Duras pour ses traducteurs anglais – et nécessite une grande attention, beaucoup d’intensité aussi ; il m’a fallu 5 mois et demi pour en venir à bout. » (Lettre du 6 avril 2005, déjà, à P. H.)

(27). « … D. L. devient également l’une des pionnières de la “métafiction” postmoderne » (Histoire de la littérature anglaise, F. Laroque, A. Morvan et F. Regard, Paris, PUF, 1997) ; Ch. Jordis parle d’une « désagrégation de la société et de la conscience que reflète l’éclatement de la forme … » (De petits enfers variés, Seuil, Paris, 1989).

(28). « Dans le carnet d’or intérieur, les choses se sont rassemblées, les cloisonnements ont disparu et, à la fin de la fragmentation, survient l’informe – triomphe du 2e thème, qui est l’unité » (Préface de 1971, écrite 10 ans après le roman). « Le Carnet d’or est composé d’un « roman dans le roman » divisé en 5 chapitres et intitulé (ironiquement) Femmes libres ; chacun de ces chapitres est suivi des extraits de quatre carnets – noir, rouge, jaune et bleu… »  (Ch. Jordis, ibid.)

(29). Cette remarque trouve sa justification dans une phrase de l’auteure : « En Allemagne et en France, le roman considéré comme trop incendiaire, dut attendre dix ans avant d’être publié » Et son éditeur chez Albin-Michel était un Américain !

(30). Dans son autobiographie, elle se plaint du niveau « honteux » des critiques : « Aucun ne mentionna que la forme du Carnet d’or était intéressante… »

(31). Dennis Pereira-Egan, poète franco-américain. Notons au passage qu’en latin comme en français le mot « personne » est curieusement du genre féminin !

(32). « … Je prends brusquement conscience des vies latentes en moi qui se gaspillent. Mon idée est que chacun de nous renferme de nombreuses vies, des vies en puissance » (Le carnet noir, p. 36).

(33). « Voilà un fragment du tendre ide [de ce roman] » (ibid. p. 55) ; « Le caractère fragmentaire de ce roman » (p. 69) ; et surtout « J’ai l’impression d’être une bombe : l’explosion d’un monde étouffant… » ou encore « Je rédige ce journal fragmentaire » (p. 209).